
Je lis un peu partout que c’est le
vingt-cinquième anniversaire de la fin de la production de la 2 CV
Citroën. Ayant eu deux 2 CV, je me sens en droit de prendre la
parole à cet égard. Mais vous allez voir : ce n’est pas le
plus beau de mon histoire.
Ma première deuche était une occasion
à 10.000 francs belges que ma mère m’acheta en septembre 1965. Je
venais d’avoir tout juste 18 ans (oui, merci, Dalida, ce n’est pas de
ça que je voulais parler) et je venais de réussir ma première
année en chimie à l’Université libre de Bruxelles. À l’époque,
nul permis n’était requis en Belgique pour conduire ; il
suffisait d’avoir 18 ans. Cette antique 2 CV avait cinq ou six ans et
85.000 km, une couleur beige rose assez moche, des essuie-glaces à
entraînement mécanique, des portières qui s’ouvraient en ailes de
papillon et des vitres avant qui se fermaient inopinément quand on
claquait la portière, en l’empoignant naturellement à l’endroit
précis où la vitre s’abattait incroyablement vite.
Elle développait la puissance
terrifiante de 13 chevaux SAE et par vent nul atteignait la vitesse
de pointe de 87 km/h.
En partant un vendredi soir en
éclaireur à Nieuport, où mes parents avaient acheté un
appartement sur la digue, je dus affronter une tempête de
nord-nord-ouest qui soufflait exactement dans le sens opposé à ma
pauvre et fourbue deux pattes. Pied au plancher, la bestiole arrivait
à maintenir un petit 60 km/h au compteur. Quand une rafale plus
violente que les autres me ralentissait, je rétrogradais en
troisième ; le moteur hurlait, dans son claquement
caractéristique de l’espèce, et les essuie-glaces en profitaient
pour tourner comme des dingues, puisqu’ils étaient à entraînement
mécanique: plus vite tournait le moteur, plus vite tournaient les essuie-glaces. C’était pratique, car durant le temps nécessaire pour
passer de 55 à 60, j’y voyais un peu. Jusqu’au moment où
l’essuie-glace de gauche s’envola, paf, comme ça, sans prévenir,
bientôt suivi par l’autre, probablement poussé au suicide par son veuvage inopiné. Je dus alors – vous comprenez à présent
pourquoi je vous ai asséné tous ces détails techniques –
entrouvrir la portière du conducteur et, la tête noyée par les
embruns du large et des bagnoles qui toutes me doublaient, conduire
en tenant la portière, vigie et pilote du vaisseau en perdition. Il
me fallut une heure trente-huit pour faire Bruxelles-Ostende. Arrivé
à la reine des plages, la tempête, devant ma ténacité, diminua
d’un cran et le vent soufflant de travers, je pus refermer la
portière et arriver enfin à Nieuport où je fus bien content de garer ma
voiture (ignorant encore que le lendemain, elle ne voudrait plus
repartir du tout).
Il y avait heureusement un garagiste
Simca à Nieuport-ville où mon père, qui avait acheté une Simca
1500 quelques mois avant sa mort après avoir eu une Ariane, faisait
toujours l’entretien ; il vint dépanner la deuche et la retapa
pour trois fois rien.
Comme déjà je gagnais des sous,
l’idée me vint d’échanger contre elle-même et 44.000 francs ma
biquette contre une 2 CV de course neuve : une Azam 6. Je m’embourgeoisais, déjà. Nous
étions en 1966 et il y avait une usine Citroën à Forest où l’on
montait une version belge de la 2 CV avec le moteur de l’Ami 6. Ce
bolide avait trois vitres latérales, des essuie-glaces électriques
(avec même un lave-glace), des portières s’ouvrant de façon
moderne et des petites sécurités qui empêchaient la demi-vitre
avant de retomber quand on claquait la porte. La mienne était blanc
Carrare avec des sièges verts et une plaque de protection de carter
dite « Sahara ». Oui, un vrai SUV avant l’heure, cette
Azam 6, qui passait partout en dodelinant et qui prenait de la gîte
à chaque virage… Je ne vous dis même pas le tangage et le roulis
qui pouvaient naître lorsque l’idée idiote, faute de chambre
d’hôtel, pouvait me prendre de… (mais c’est une autre histoire et
ce n’était pas avec Dalida).
Je ne l’ai gardée qu’un an. La berme
centrale du tunnel Botanique, fraîchement installée, se chargea de
transformer mon bolide en avion ; la roue gauche frôla la
berme, se bloqua, et l’Azam 6 fit ce qui même pour un bateau est
rare : sancir, c’est-à-dire chavirer cul par dessus tête. Renvoyée par le plafond du tunnel, elle
s’arrêta sur ses roues, voilées, le moteur tournant rond (il y
avait un embrayage centrifuge). Je n’avais pas une égratignure.
C’est au volant que j’amenai ma pauvre bagnole, aplatie mais capable
encore de rouler, au centre Martini où j’étais supposé finir de
m’éthyliser. Et le lendemain… La tête du réceptionniste de chez
Richard quand j’ai amené l’épave, brinquebalante, en clamant :
« C’est pour une vidange ! ».
Je suis ensuite passé chez Renault. La
4 L avait aussi son charme. Moins au niveau du moelleux de la
suspension quand, faute de chambre d’hôtel,…
À demain.
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La photo est piquée d’un des nombreux
sites à la gloire de la 2 CV. C’était la même que la mienne.
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Et le feuilleton ? Deux épisodes
en préparation. Un peu de patience !
(à suivre)